
Au Togo, Clinicaa, une solution informatisée lancée depuis trois ans, essaie d’apporter la réponse adéquate aux problèmes de gestion des structures de santé, confrontées à de multiples défis et à un manque de coordination. Conçu pour fonctionner sans internet, l’outil séduit, et se lance à la conquête du continent, où les réalités se partagent. Togo First a rencontré Hector Ablam Kabu Occansey, son cofondateur et manager.
Togo First : Clinicaa, c'est quoi ? Quelle est l'histoire derrière ?
Hector OCCANSEY : Clinicaa est né de mon parcours de gestionnaire de structures de santé après des études de droit. Confronté à la lenteur de la prise en charge des patients, au manque de coordination des soins et à la mauvaise gestion qui gangrène nos structures de santé, j’ai réalisé l’urgence de digitaliser nos établissements. En analysant ceux qui faisaient l’effort de se moderniser, j’ai constaté qu’ils utilisaient plusieurs logiciels différents pour différents services hospitaliers : un pour la caisse, un autre pour le laboratoire, un autre encore pour la pharmacie etc.
Ce système d’informations fragmenté créait plus de complications qu’il n’en résolvait. Il fallait un système d’informations intégré.
Ces types de systèmes, qui sont des ERP (Progiciel de gestion intégrée), sont pour la plupart importés à prix d’or, et souvent inadaptés aux réalités africaines de gestion hospitalière. Ils nécessitent une infrastructure technique lourde, une expertise difficile à mobiliser localement, et un budget très élevé que peu d’établissements peuvent supporter.
Clinicaa se veut pour sa part, une solution africaine tout-en-un, donc plus adaptée aux réalités de fonctionnement de nos structures, issue de plus de 12 ans d’expérience de terrain en tant que gestionnaire de structures de santé, et accessible financièrement aux structures locales.
T.F : Ces dernières années, plusieurs solutions de e-santé comme les carnets de santé numérique, ou les dossiers de patients mobiles, ont vu le jour au Togo, certaines soutenues par les pouvoirs publics. En quoi Clinicaa diffère-t-elle ?
H.O. : C’est vrai, il y a une effervescence autour de la digitalisation de la santé, ce qui est très encourageant. Mais Clinicaa se distingue sur plusieurs plans. D’abord, par sa philosophie globale : il s’agit d’un ERP hospitalier entièrement intégré, qui relie tous les services – de l’accueil à la comptabilité en passant par la consultation, le laboratoire, l’imagerie, la pharmacie, etc. Notre approche ne se limite pas à digitaliser un segment, mais bien à transformer l’ensemble du parcours patient de manière fluide et cohérente.
Ensuite, Clinicaa va au-delà de la simple informatisation hospitalière. Il s’agit d’un véritable écosystème numérique : en plus de la version dédiée à l’hôpital, une version mobile est proposée au patient. Celle-ci se synchronise automatiquement avec la plateforme hospitalière pour lui permettre de recevoir ses données de santé, facilitant ainsi le suivi post-consultation et l’observance thérapeutique.
Enfin, Clinicaa a été conçue pour fonctionner même sans connexion Internet. Cela garantit la continuité des soins dans les zones où les coupures sont fréquentes, un paramètre crucial pour de nombreux établissements en Afrique.
T.F : Rencontrez-vous des difficultés particulières dans le déploiement ou auprès des établissements sanitaires ?
H.O : Bien sûr, chaque changement de paradigme rencontre des résistances. La principale difficulté reste l’accompagnement au changement : rassurer les gestionnaires, démontrer l’utilité au quotidien, accompagner le personnel utilisateur. Certaines structures hésitent à investir dans le digital parce qu’elles pensent que c’est réservé aux grands hôpitaux, ce qui est faux. Clinicaa est justement conçue pour s’adapter aux petites structures comme aux grandes.
Mais au-delà de cela, nous faisons parfois face à des résistances plus profondes. Certains membres du personnel, ayant mis en place des systèmes de détournement ou de malversations, comprennent très vite la transparence que Clinicaa va introduire. Ils perçoivent la solution comme une menace à leur fonctionnement opaque, ce qui peut freiner son adoption.
Par ailleurs, plusieurs structures qui avaient essayé des solutions numériques avant nous, ont eu de très mauvaises expériences : logiciels instables, assistance technique inexistante, coûts cachés. Cela a laissé un sentiment de méfiance que nous devons souvent déconstruire, en rétablissant la confiance étape par étape.
“Certains perçoivent la solution comme une menace à leur fonctionnement opaque.”
Il faut aussi reconnaître que beaucoup de personnels hospitaliers n’ont jamais été formés à l’utilisation du digital dans leur cursus initial. Leur résistance est donc compréhensible. C’est pourquoi nous plaidons activement pour que les autorités introduisent l’usage des outils numériques dans les programmes de formation en santé. La transformation digitale des hôpitaux ne peut réussir que si elle est accompagnée d’un effort structurel de montée en compétences dès la base.
T.F : Récemment, nous avons eu vent d'une implantation en Afrique Centrale. À part le Togo, où est déployé le progiciel ?
H.O : En effet, nous avons récemment posé nos valises au Cameroun, avec de belles perspectives. 3 structures de santé déployées à Yaoundé et une à Douala : La Clinique FROT, le Centre de santé Florence de Nightingale, le service d’imagerie médicale de l’hôpital public de NKOLBISSON et la clinique Hope & Blessing.
Avec le Cameroun, Clinicaa est aujourd’hui déployée dans sept pays africains. Les six autres sont le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, la RDC, le Burkina Faso et le Sénégal.
Notre approche repose beaucoup sur le partenariat local avec des distributeurs et des Certifiés Clinicaa locaux qui sont des supports de proximité qui rassurent les Clients pour un meilleur accompagnement à l'adoption et la maîtrise du Logiciel.
T.F : Quelles sont les ambitions de Clinicaa ?
H.O : Notre ambition est claire : devenir la référence panafricaine en matière de gestion numérique des structures de santé. Nous voulons faire de Clinicaa, un levier de transformation structurelle de la santé en Afrique.
Nous élargissons de plus en plus notre écosystème : Une plateforme de téléradiologie baptisée X-RayVision sera bientôt lancée à partir du Cameroun en partenariat avec la direction de la santé militaire au ministère de la Défense. Nous développons également Clinicaa Link, un module dédié aux interopérabilités avec les structures externes qui gravitent autour de l’Hôpital : Compagnies d'assurance, Ministère de santé, Etat Civil, Pharmacies externes, Caisses nationales de sécurité ou de prévoyance sociale, etc...
D'ici à 2030, nous ambitionnons d’être présents dans 10 pays d'Afrique francophone et à partir de 2032, de nous intéresser aux pays anglophones. Avec Clinicaa, nous voulons contribuer à la mise en place d’une organisation étatique de santé plus efficace, centrée sur une prise en charge holistique du patient.
“Notre ambition est claire : devenir la référence panafricaine en matière de gestion numérique des structures de santé”.
Cela implique que toutes les données médicales soient centralisées dans un seul et unique dossier par patient. À terme, Clinicaa a vocation à devenir un véritable outil national de données fiables, au service d’une meilleure planification sanitaire et d’une politique épidémiologique fondée sur des indicateurs concrets.
Interview réalisée par Octave A. Bruce